L’interruption à risque de grossesse demeure un tueur silencieux dans le monde. Chaque année, 4,7% à 13,2% des décès maternels peuvent être attribués à un avortement non sécurisé, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Le Bénin n’échappe pas à ce drame qui emporte ses jeunes filles, adolescentes et même adultes. Pourtant, ce sont des pertes en vies humaines bien évitables déjà par le pouvoir de l’information et de l’éducation en Droits et Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR).
« Je n’ai jamais avorté. Mais j’ai appris qu’il y a des médicaments et des tisanes si on doit le faire. On peut utiliser […] ». Denise, élève au Collège d’enseignement général (CEG) Gbégamey à Cotonou, accepte de nous faire part de ce qu’elle sait d’une interruption de grossesse. La jeune fille de 17 ans énumère deux (02) produits qu’elle estime destinés pour interrompre une grossesse. « On peut aussi aller voir un médecin quand les médicaments ne réussissent pas », ajoute-t-elle. Sa source d’information est son groupe d’amies, confie-t-elle.
Comme Denise, nombreuses sont ces jeunes filles et adolescentes en milieu scolaire qui ont pour source d’information sur la sexualité, leurs camarades de classe. Par manque d’accès à des informations fiables et officielles en la matière, elles reçoivent des idées erronées comme ‘’vérités’’ qui les plongent malheureusement davantage sous la menace des grossesses non désirées avec un risque élevé d’interruption non sécurisée sous le poids d’un environnement de stigmatisation. Il y a quelques jours, plusieurs médias béninois rapportaient le cas d’une élève retrouvée morte dans sa tenue kaki d’école derrière l’Institut Biblique de Dassa-Zoumè, samedi 7 novembre 2020. Elle avait sur elle, des comprimés […] (cités dans les rumeurs parmi ceux utilisés contre l’évolution d’une grossesse). Elle serait enceinte. Son copain, un élève en classe de 3ème, a reconnu lui avoir remis ces comprimés.
Même-si dans le cas d’espèce, le lien entre le décès de la jeune fille et les médicaments retrouvés dans sa poche n’est pas encore établi, son cas rappelle celui de nombreux d’autres jeunes filles qui succombent dans l’expérience dangereuse d’une interruption non sécurisée ou à risque de grossesse. « Un avortement est à risque lorsqu’il est pratiqué par une personne qui n’a pas les compétences nécessaires ou dans un environnement où les normes médicales minimales ne sont pas respectées, ou les deux », indique l’OMS. « En Afrique, près de la moitié des avortements ont lieu dans les pires conditions de sécurité ».
En milieu scolaire au Bénin, les sources comme celle de Denise sont aussi à la base de la situation alarmante qui y prévaut. La direction générale de l’Institut national d’ingénierie de formation et de renforcement des capacités des formateurs, sous tutelle du ministère de l’enseignement secondaire, renseigne qu’entre 2013 et 2019, il y a eu 8.554 cas de grossesse en milieu scolaire soit une moyenne de 1.500 par an. Ce taux est passé de 1.485 au cours de la période 2013-2016 à 7.079 entre 2016 et 2019. Les grossesses en milieu scolaire deviennent monnaie courante et tuent en silence les jeunes filles, au-delàs des autres conséquences dont la déscolarisation, la pauvreté, la mendicité, l’infertilité. Dans le cas du choix de non conduite à terme de la grossesse, l’option d’une interruption non sécurisée et à risque est en effet fréquente car, faute d’accès à de vraies et officielles informations en sexualité, ces adolescentes et jeunes se confient entre elles.
Le risque de plus en plus grand
« Entre 2015 et 2019, on a enregistré dans le monde une moyenne annuelle de 73,3 millions d’avortements provoqués (sécurisés ou non) », selon l’OMS. « Une étude réalisée en 2016 sur la thématique révèle que 73.321 avortements provoqués et 68.922 avortements spontanés ont lieu au plan national », d’après le Rapport « Evaluation des besoins de plaidoyer pour l’avortement sécurisé » publié en mai 2018 par le Collège National des Gynécologues Obstétriciens du Bénin (CNGOB). Cela pèse pour beaucoup dans le taux de mortalité maternelle. « 22 millions d’avortements non sécurisés sont pratiqués dans le monde chaque année et contribuent pour environ 13% de la mortalité maternelle totale », rapportait la Directrice régionale de IPAS Afrique francophone, Nicolette Van Duursen, en janvier 2019 lors de l’atelier de dissémination et de validation des résultats de l’évaluation stratégique sur les grossesses non désirées, les avortements et la contraception au Bénin. Le ministère béninois de la santé informe à travers son Plan opérationnel de réduction de la mortalité maternelle et néonatale au Bénin (PO-RMMN 2018-2022) que l’avortement est la troisième principale cause biologique de mortalité maternelle, 13%, après l’hémorragie du post partum (29,6%) et l’éclampsie (22,2%). Les grossesses non désirées et les avortements à risque constituent une tragédie qu’il faut sans cesse travailler à faire arrêter.
La clé de tous les abris pour zéro avortement à risque
Pour sauver la vie de ces millions de jeunes filles et adolescentes vulnérables, la promotion du droit relatif à l’accès à l’information en matière de santé sexuelle et reproductive est une piste par excellence. Elle est la porte d’accès à toutes les autres solutions contre le phénomène. L’information fiable et légale offre la clé de la prévention des grossesses non désirées. Puis, au cas où la grossesse survenait, c’est encore cette clé qui offre la garantie de la prise d’une bonne décision en toute liberté, légalité et sécurité. Dans toutes les stratégies contre les grossesses non désirées et pour atteindre zéro avortement à risque, l’éducation, l’information et la sensibilisation aux droits sexuels et reproductifs se révèlent comme la pierre angulaire. L’OMS conseille « une éducation sexuelle exhaustive ». « Pratiquement tous les décès et cas d’incapacités dus aux avortements pourraient être évités par l’éducation sexuelle », soutient l’organisation internationale. C’est l’outil qui permet en effet, à la jeune fille tout comme au jeune garçon qui la reçoit, de ne plus se confier aux rumeurs qui les maintiennent dans la clandestinité et imposent à la fille une mort en silence pour cause d’interruption non sécurisée de grossesse pourtant évitable.
Ce même outil permet aux jeunes et adolescentes de tout savoir sur la prévention des grossesses non désirées au moyen d’une contraception efficace d’une part et sur l’accès à l’interruption sécurisée et légale de grossesse d’autre part. « Les jeunes ont besoin et on le droit d’avoir des informations exactes sur leur santé et leurs droits reproductifs », défend la Fédération Internationale pour la Planification Familiale (IPPF). C’est d’abord et avant tout un droit humain qu’il faut défendre. Il faut renforcer l’éducation à ce propos non seulement dans ces milieux scolaires mais aussi dans la communauté en générale pour des environnements favorables aux respects des droits sexuels et reproductifs. L’Unesco soutient que « l’éducation est essentielle pour prévenir les grossesses adolescentes ».